Malgré cette victoire écrasante, les Birmans ne purent se maintenir longtemps au Siam.
Un ancien proverbe dit qu'«Ayutthaya ne manque jamais d'hommes valeureux». De fait, pendant ce siège fatal, une petite troupe d'hommes dévoués se rassembla autour d'un jeune général nommé Phrya Tak Sin. Constatant le caractère désespéré de la situation et l'incapacité du roi et de son entourage dépravé à la redresser, ses compagnons et lui traversèrent les lignes birmanes et gagnèrent Chanthaburi, sur la côte sud-est du golfe de Siam. Là, Phrya Tak Sin mit sur pied une armée et une flotte. Sept mois après la chute d'Ayutthaya, il fit voile vers la capitale et chassa la garnison birmane.
Taksin (de son nom populaire) devait décider le jour même de transférer la capitale, indéfendable à ses yeux, à un autre endroit. Il expliqua à ses troupes que les anciens rois lui étaient apparus en songe, lui enjoignant de partir. En fait, les considérations stratégiques furent sans doute plus déterminantes que les conseils venus de l'au-delà. Un site plus proche de la mer faciliterait le commerce avec l'étranger et l'acquisition d'armes. De plus, une telle position serait plus facile à protéger ou à évacuer en cas de nouvelles attaques.
Au cours du XVII° siècle, un petit village de pêcheurs en aval d'Ayutthaya était devenu un important avant-poste commercial et défensif. Appelé Bangkok, le «Village des oliviers sauvages», l'endroit avait été fortifié par les Français sur les deux rives du Chao Phraya. Au débouché d'un étroit canal, Taksin installa officiellement sa nouvelle capitale sur la rive occidentale, à Thon Buri, et s'y fit proclamer roi sous le nom de Borom Racha IV.
Un immense travail l'attendait, car depuis la chute d'Ayutthaya, l'absence d'autorité centrale avait contribué à une rapide décomposition du royaume. Il dut donc réunir à nouveau les provinces. En même temps qu'il consolidait son pouvoir à Thon Buri, il dut affronter des attaques birmanes, qu'il repoussa avec succès.
Il gouverna jusqu'en 1782. Mais, pendant les sept dernières années de son reigne, il délégua le commandement militaire à deux généraux qui le servirent pendant sa campagne pour la restauration et la préservation de l'indépendance nationale. Ces deux personnalités proéminentes, deux frères, Chao Phraya Chakri, et Chao Phraya Surasih, avaient sa totale confiance.
Ils se chargèrent de libérer Chiang Maï et le reste de la Thaïlande septentrionale de la domination birmane, et soumirent le Cambodge et une grande partie de l'actuel Laos.
C'est au cours de la campagne victorieuse au Laos que la Thaïlande entra en possession du fameux Bouddha d'émeraude. Chao Phya Chakri le transporta de Vientiane a Thon Buri en 1779.
Pour les Thaïs, c'est l'image la plus sacrée de Bouddha. Selon la piété populaire, il est garant de l'indépendance et de la prospérité de la nation.
Malgré ces hauts faits et l'insigne protection du Bouddha d'émeraude, le gouvernement de Taksin se mit à dériver dangereusement. La santé mentale du souverain, qui donnait des signes d'inquiétude, rendant le monarque, autrefois puissant, excentrique, cruel et imprévisible.
Il en vint à se prendre pour un Bodhisattva (futur bouddha) et flagellait les moines qui lui désobéissaient. Complètement paranoïaque, il torturait les dignitaires, ses enfants et même sa femme pour leur faire avouer des crimes imaginaires.
Une révolte éclata en mars 1782, et Taksin fut contraint d'abdiquer et d'entrer dans un monastère.
Un dignitaire de rang inférieur, Phya San, organisateur du complot, offrit le trône vacant à Chao Phya Chakri dès son retour du Cambodge.
Le généra Chakri endossa la royauté le 6 avril (jour de la fête de Chakri toujours célébrée annuellement) et fonda ainsi la dynastie qui porte son nom.
Un conseil de surveillance formé de généraux jugea que Taksin constituait une menace potentielle pour la stabilité du pays, et décida de l'exécuter selon le rite royal traditionnel. On dit même que Chao Phya Chakri était en larmes quand il prit congé de son ancien chef et seigneur.